Théories scientifiques
Charles Blanc:
Il est important pour son ouvrage Grammaire des arts et du dessin (1867) : c’est grâce à lui que Signac prend connaissance des théories de Chevreul. Il popularise les complémentaires utilisées par les peintres grâce à sa "Rose des couleurs", et il a répandu l’idée d’un Delacroix connaisseur des “lois” de la couleur. Il lui a doit aussi la notion d’harmonie morale de la couleur. Blanc utilisait déjà la formule “l’accord des semblables” ou “l’analogie des contraires”, qui revient souvent chez Signac.Il a surtout développé le concept de mélange optique, au coeur de la théorie néo-impressionnisme : c’est l’idée que deux couleurs juxtaposées formeront une troisième couleur que nos regards verront à distance.
Michel-Eugène Chevreul :
Signac reprend de lui l’idée des lois "simples" du contraste simultané: quatre ou cinq préceptes énoncés par Chevreul qui résument pour l’artiste les conséquences du contraste simultané: lorsque deux couleurs sont juxtaposées chacune est perçue comme légèrement teintée par la complémentaire de la couleur qui lui est contiguë.
Ogden N.Rood:
Son apport principal est une expérience simple pour montrer que le mélange temporel de deux teintes est plus lumineux qu’un mélange de pigments. Pour cela il met sur un disque qu'il fait tourner une couleur au centre (résultat d'un mélange de deux couleurs), et autour deux couleurs séparées qui se mélangent dans l’œil une fois le disque entré en rotation. La couleur perçue par l'oeil est plus lumineuse que la couleur centrale.
Rood part de la différence entre le mélange additif et le mélange soustractif ; le mélange additif va vers le blanc (mélange de rayons lumineux), tandis que le soustractif vers le noir (mélange de pigments). Pour expliquer son expérience Rood utilise néanmoins l’expression de lumière colorée pour décrire les couleurs qui se mélangent dans l'oeil bien que ce soit des pigments. Signac a la volonté de créer des lumières colorées sur ses oeuvres tout en étant conscient de ne pas peindre avec des rayons de lumière, et cela explique le recours à Rood pour justifier la pratique.

Charles Blanc, "Rose des couleurs", dans Grammaire des arts et du dessin (ed. de 1880) © Georges Roque

Odgden Nicholas Rood, Schéma dans La Théorie scientifique des couleurs et leur application à l’art et à l’industrie, Paris, Germer Balliaère, 1881 © Georges Roque

Mélanges additifs et soustractifs, In: Slide Player, URL: http://slideplayer.fr/slide/503064/, © FERRER Morgaine
Les impressionnistes ont des couleurs impures, des couleurs qui se mélangent sur la toile donc du côté de la matière, de la “mixture”, des pigments et de la souillure; donc de quelque chose de terne qui relève du mélange soustractif de la couleur. Les néo-impressionnistes, veulent faire le mélange de “couleur-lumières” qui relèverait du mélange additif de la couleur. Un point équivaut à une “couleur-lumière” pure. Notons néanmoins que Signac s’inspire énormément de Seurat déjà influencé par ces théories scientifiques.
Malgré ces emprunts à des théories scientifiques qui servent à légitimer le mouvement critiqué à la mort de Seurat, Signac minimise paradoxalement leur importance pour insister sur le fait que la science n’est qu’un outil au service de l’artiste et qu’elle ne limite en rien sa créativité. Ces techniques sont faciles, et peuvent s’apprendre selon lui dès l’école primaire. Cela a pour principal but de répondre au reproche que la technique est trop dogmatique.
Charles Henry (dont l'influence est implicite dans l'ouvrage De Delacroix au néo-impressionnisme), auteur d'une Introduction à une esthétique scientifique, disait : « On ne prétendra pas que je veux substituer à la réaction de l'artiste le mécanisme d'un instrument. Le génie est inimitable, car il s'exprime non seulement par les rythmes visibles, mais par une infinité de rythmes invisibles » 1
De plus, malgré l'aspect scientifique, Signac fait des jugements subjectifs qui évoquent un symbolisme catholique. La couleur peu avoir une influence morale et il fait souvent référence à la mosaïque et à l’Orient. Cela lui permet de montrer la couleur et la lumière comme pouvant représenter la splendeur divine. Le sombre est associé au sale, et le blanc au pur, évoquant une beauté virginale ou une lumière divine.
Chez Signac se développe une vision téléologique très nette. Les néo-impressionnistes sont parvenus au résultat le plus coloré et lumineux de leur temps, mais uniquement grâce à Delacroix et aux impressionnistes qui ont préparé le terrain. Chacun marque une étape du progrès de l’art dont le but doit être plus de couleur et de lumière. Delacroix connaissait les secrets des lois de la couleur, cela implique que ces techniques scientifiques ne sont pas juste des inventions humaines, mais une découverte scientifique liée à l’idée de progrès. Plus que l’art de Delacroix, Signac évoque sa science. Cela a pour effet de montrer l’utilisation de la couleur des néo-impressionniste comme une évidence logique du progrès de l’art.
1 cité par Ewig Isabelle dans "Aux origines de l'abstraction" p.3
Sources:
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EWIG Isabelle, « AUX ORIGINES DE L'ABSTRACTION. 1800-1914 (exposition) ». In Universalis éducation [en ligne], URL : http://www.universalis-edu.com.ezproxy.univ-paris1.fr/fileadmin/pdf/T091458.pdf (consulté le 22/03/2017)
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ROQUE Georges, "Signac et la théorie des couleurs", In: Signac, les couleurs de l'eau [en ligne], URL: http://www.academia.edu/8104787/Signac_et_la_th%C3%A9orie_de_la_couleur 6 (consulté le 02/04/2017)
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SIGNAC Paul, D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme, Hermann Editeur, Paris, 2014